Bien avant que le canular ne devienne un contenu viral et décérébré sur YouTube, une fiction radiophonique a réussi, bien malgré elle, l’immense tour de force de rouler tout un pays dans la farine, un soir d’Halloween…
Entre légende et réalité, Mama Pitch vous ramène en 1938 pour assister à la diffusion de “La Guerre des Mondes” sur CBS et démêler le vrai du faux.
Si la radio est aujourd’hui la meilleure amie de l’automobiliste coincé dans les bouchons, c’est parce que bon nombre de bonhommes se sont penchés sur la question.
D’abord réservée aux usages militaires et maritimes, elle fait son apparition dans les foyers américains dans les années 20, devenant ainsi le compagnon de toute la famille !
Et que de bons moments passés ensemble ! L’annonce de la guerre en Europe, le Krach Boursier, les discours et la montée en puissance du nazisme, les catastrophes naturelles, la grande dépression…
Bref, les américains baignent dans une ambiance relativement anxiogène, ce qui explique bien des choses.
Mais la radio ne sert pas qu’à faire flipper les Yankees à coup de flashs spéciaux, elle leur propose aussi des émissions divertissantes, des intermèdes musicaux, du contenu culturel et bien sûr… les fictions radiophoniques et autres troubadoureries adaptées à ce format particulier.
CBS PRÉSENTE…
En 1938, le réseau CBS propose à un jeune prodige du théâtre de diriger l’émission The Mercury Theatre on the Air. Il s’agit là de proposer une adaptation radiophonique d’une œuvre littéraire et ainsi distraire les ménages américains qui en auraient assez d’entendre Hitler brailler plus fort un hooligan sous ecstasy.
Ce jeune prodige n’est autre qu’Orson Welles dont la biographie impressionnante pourrait donner des complexes à Mozart… s’il n’était pas mort.
Il sait lire à 2 ans, jouer du piano à 3 et réalise sa première mise en scène à 7…
Le Times le qualifie de “plus claire des lunes qui brillent sur Broadway”…
Exaspérant n’est-ce pas ? Bref.
A 23 ans donc, il dirige de la troupe du Mercury Theatre et dispose d’une certaine liberté créative.
C’est dans ce contexte qu’il décide d’adapter pour l’émission d’Halloween 1938 “La Guerre des Mondes” de Herbert Georges Wells.
Attention…
Réaction de John Houseman, avec qui il dirige le Mercury Theatre :
Si le roman a reçu un très bon accueil et attire l’attention d’Hollywood, John n’imagine pas sa transcription à la radio.
D’autant que sur ce créneau, NBC propose une émission de variété “The Chase & Sanborn hour”, présenté par l’acteur ventriloque Edgar Bergen.
Mais ce qu’ Orson veut, Orson obtient.
Donc en résumé, en cette soirée du 30 octobre 1938, les américains ont le choix :

Légèrement flippant mais toujours moins qu’une émission de Pascal Praud…
Orson Welles choisit de transposer l’histoire aux USA et après une première version qui s’avère aussi rasoir qu’un épisode de Derrick, notre sacripant a l’idée d’habiller le texte de faux flashs spéciaux…
ON AIR
Le 30 octobre à 20h, en direct du Mercury Theatre, Orson prend l’antenne et le générique démarre (qui n’est autre que le Concerto pour piano nº 1 de Tchaïkovski, s’il vous plaît !).
« C’était quelque mille et neuf cents années après le début de notre ère, pour cette soirée du trentième jour du mois d’octobre… »
Petit bulletin météo évoquant quelques perturbations atmosphériques d’origine inconnue puis une annonce d’interruption des programmes.
« Mesdames et Messieurs, nous sommes bien contraints de ne pas poursuivre notre retransmission musicale car une nouvelle d’importance doit vous être donnée… »
Un scientifique du New Jersey vient d’observer une activité explosive sur Mars.
La montée en puissance, aussi bien maîtrisée qu’un gilet jaune, passe par des informations étranges noyées dans des annonces anecdotiques…
L’émission atteint alors son point culminant quand le soi-disant reporter parti interroger le scientifique est dépêché pour couvrir le crash d’une soucoupe dans une ferme voisine à Grover Mills.
Le public assiste alors à l’invasion martienne qui s’avère sans pitié.
Décrivant les robots du roman, le speaker commente en direct : rayons lasers, morts, explosions, défaite de l’armée pour finir dans un silence ne présageant rien de bon pour le journaliste, dont le décès est annoncé peu après.
Entrecoupés d’intermèdes musicaux, de silences et de grésillements, le programme se poursuit avec l’annonce de l’invasion et un appel au calme du Secrétaire de l’Intérieur en direct de Washington, lors d’un énième flash spécial.
[NDLR] Secrétaire de l’Intérieur est une fonction aussi fictive que les emplois de Mme Fillon.
C’est ensuite un reporter de CBS posté sur le toit de la radio qui décrit la panique des New-Yorkais et leur fuite.
L’émission qui aura duré près de 80 minutes se conclut conformément au roman par une défaite bactériologique des aliens et par une annonce d’Orson Welles rappelant que c’était une fiction radiophonique d’Halloween.
ORSON ? WE HAVE A PROBLEM
Une panique sans précédent s’empare du pays.
Près d’un million d’auditeurs ont cru à cette invasion. On rapporte des scènes apocalyptiques, des encombrements des routes, des lignes téléphoniques saturées, des fausses couches, des accidents dans des mouvements de foule aussi incontrôlables que des fraudes au CPF, des crises cardiaques, des suicides…
Bref, le merdier.
C’est en tout cas ce qu’ont titré les journaux papiers au lendemain de la diffusion.
Accusant la radio de propager des “fake-news”, la presse écrite s’en donne à coeur joie et certaines personnalités politiques demandent la création d’un organe de censure pour la radio.
Mais vous connaissez le dicton mes petits flans aux oeufs ! “Fais ce que je dis, pas ce que je fais.”
Tout ceci n’est autre qu’une tentative de discréditer la radio, ce nouveau média qui à ouvert à la concurrence le traitement de l’information.
Parce qu’en réalité… Panique il n’y a jamais eu.
S’il est vrai que certains auditeurs ont réellement cru à une invasion extra-terrestre, on est loin du million annoncé.
Certes, le standard de CBS s’est enflammé, faisant certainement regretter aux opératrices de n’avoir que deux bras, les auditeurs ont en fait cherché à vérifier l’information plutôt que de mettre bobonne et le chien dans la voiture.
De plus, la zone de diffusion était restreinte et présentait de nombreux décrochages dans tout le pays. On est loin du million d’auditeurs.
Un sondage téléphonique réalisé sur un panel de 5000 personnes le soir-même révèle que seulement 2% des auditeurs avaient préféré Orson à Edgar. Et seulement 27% ont dit avoir été… perturbés.
Mais le mal est fait et Orson Welles se voit demander par la direction de CBS, qui redoute une vague de procès, de faire des excuses publiques lors d’une conférence de presse.
Et vous pouvez me croire mes pitchous, Orson (qui n’est tellement pas désolé) livre là sa meilleure interprétation.

La tête basse et les yeux brillants, Orson Welles jubile intérieurement.
IDIOTS HELPED THE RADIO STAR
Et oui ! Grâce à ce coup médiatique involontaire, les journaux vont propulser l’émission qui trouve un sponsor : Les légendaires soupes CampBell© !
Orson Welles vient de mettre de l’uranium dans le moteur de sa carrière.
Le studio RKO l’embauche pour réaliser un film par an et Hollywood se l’arrache.
A la fois acteur, réalisateur, producteur, scénariste, metteur en scène, dessinateur, (ça va aller là non ?!) écrivain et illusionniste, Orson Welles laissera sa marque dans l’histoire du cinéma et du théâtre mais aussi dans le domaine des légendes urbaines !
POUR FINIR
Si cette légende fut propagée aussi vite qu’un variant delta au fur et à mesure des années, elle marquera un véritable moment-clé dans l’évolution de la pensée américaine.
De nombreux chercheurs ont commencé à s’intéresser au fonctionnement de la pensée de masse, entraînant par la suite de nombreuses expériences sociales (plus ou moins honnêtes).
D’autres se penchent encore sur l’histoire de cette légende et comment cette rumeur continue sa course près de 80 ans après.
Cela engendre également une réflexion sur l’importance de la vérification et du croisement des sources.
En bref, un Halloween qui a fait grandir les Américains.
C’est pas dommage.
Mama Pitch doit à présent rendre l’antenne. Je vous laisse avec des liens tout à fait charmants qui vous feront rendront riche du carafon.
Parce que chez Pitchbull, nos liens sont certifiés élevés au maïs et en plein air.
Jasmine.B (Eleveuse de cadres supérieurs à Perigueux)
[NDLR] : Mama Pitch comprend qu’il est facile d’oublier de laisser un like, un mot et surtout de partager, mais pensez-y, ça fait plaisir, ça combat le découragement et accélère la cicatrisation.
LIENS :
Je vous mets BIEN EVIDEMMENT ici, le lien pour écouter la « La Guerre des Mondes« par Orson Welles
Lecture :
- Un article du site SciencesPress : « Guerre des mondes: panique à cause d’une émission de radio ? Faux«
- Un article de « La revue des médias » par L’INA sur l’histoire du feuilleton radio : « Le feuilleton radio, les avatars d’un genre ancien à l’heure du numérique«
- Un article du site Histoire pour tous : « Invention et Histoire de la radio »
- Un article de France Culture sur les paniques collectives : « Les paniques collectives«
Audio :
- La passionnante mini-série « Philosopher avec Orson Welles » en 4 épisodes sur France Culture (durée : 1h/épisode)
- EP 1 : « La Guerre des Mondes«
- EP 2 : « L’Opacité du Mal«
- EP 3 : « Il faut filmer Shakespeare«
- EP 4 : « Citizen Kane et la splendeur des Amberson«
- Un numéro de l’excellent Podcast « La culture change le monde » par France Culture (durée : 58 minutes) : « Comment les films changent le monde : Citizen Kane d’Orson Welles (1941)«
- Un numéro du Podcast « Le Cours de l’Histoire » par France Culture (durée : 52 minutes) : « À vous les studios, une histoire de la radio«
- Le site de radioking.com vous propose d’écouter quelques extraits de radio : « Ces moments qui ont changé la radio«
Vidéo :
- Deux numéros de l’émission « Blow Up » produite par ARTE (durée : 13 minutes) : « Les Génériques d’Orson Welles » et « C’était quoi Orson Welles ?«
- Une vidéo sur la chaîne YouTube du journal « Le Monde » (durée : 6 minutes) : « Guerre des mondes : histoire d’une fausse panique collective »
- Un excellent documentaire signé ARTE sur Dailymotion (durée : 56 minutes) : « La guerre des mondes selon Orson Welles«