De tous les univers sombres, dérangeants et torturés, celui de H.R Giger tient la première place. Non content d’être le seul père du célèbre Xénomorphe à conserver un sternum, il deviendra une figure de proue de la mouvance biomécanique.
Préparez-vous, nous allons descendre dans les catacombes de cet univers cauchemardesque mais fascinant. N’ayez pas peur, Mama Pitch est là.
Lors de mon (mini) voyage au pays du fromage qu’est la Suisse, j’ai découvert, non seulement qu’on pouvait payer un verre de vin tout juste passable près de 15 euros, mais plus important qu’il existait un musée dédié à H.R Giger dans le charmant village de Gruyères. C’est donc tout naturellement que j’y ai fait une incursion, persuadée de manger du Xénomorphe (Alien) à toutes les sauces et…du gruyère.
Autant vous dire que j’ai pris une claque à m’en faire faire trois fois le tour du pantalon sans toucher l’élastique.
Non seulement Giger est l’auteur d’une œuvre picturale réellement conséquente, mais c’est aussi un concepteur sans compromis, bien décidé à vomir ses démons à la face du monde.
Et le gruyère est vachement bon.
Je vous propose de prendre l’ascenseur avec moi, direction les tréfonds de la noirceur.
CHANTIER DE CONSTRUCTION
Le petit Hans Ruedi naît le 05 février 1940 en Suisse au sein d’une famille de catholiques rigoristes. Ses parents sont plutôt aisés, son père tient une pharmacie et sa mère s’occupe de ses deux rejetons.
Hans va très vite se révéler être un enfant à part, fasciné par la mort et les ténèbres.
Alors qu’il est âgé de seulement 5 ans, son père reçoit un crâne humain destiné à la pharmacie.
Ce petit galopin va dès lors le subtiliser, lui attacher une ficelle, et le balader partout comme un pote.
Il passe parfois des heures dans l’obscurité de sa cave et des dessous de table. A l’âge de 10 ans, il se découvre une passion pour les armes à feu, tant pour leur mécanique que pour leur symbolique. Il ne manquera pas de s’essayer à en fabriquer, ce qui lui vaudra de frôler la mort à 4 reprises à l’adolescence, victime de ses expérimentations hasardeuses.
Mais voilà, à jouer avec le feu, tôt ou tard on se brûle et Giger commence alors à développer des terreurs nocturnes qui ne le quitteront plus jamais. On peut se demander si cette fascination n’est pas le reflet d’un désir d’apprivoiser ses visions cauchemardesques.
Mais bon, qui de l’œuf ou de la poule… De plus, j’ai épuisé mon quota de psychologie de comptoir pour ce mois-ci.
Sa scolarité est un calvaire. Le système scolaire est aussi adapté pour lui qu’une paire de basket pour un cul-de-jatte. Il trouvera néanmoins une oreille attentive en la personne de son instituteur qui, flairant le potentiel caché de cet enfant toujours de noir vetu, va lui apprendre le modelage et la construction et l’encourager au dessin.
Même si sa mère le couvre d’amour, Hans voit bien la déception dans le regard de son père qui voit s’éloigner à vitesse supersonique la perspective de faire de son fils un honnête pharmacien catholique.
A l’adolescence, sans doute par opposition avec cette éducation religieuse contraignante, Giger se met à explorer (artistiquement) le sexe féminin et son anatomie, toujours autant fasciné par la mécanique organique du corps. Il fabrique également un train fantôme dans son jardin, signe avant-coureur de ce sombre univers à venir.
Seulement voilà, son daron, rebuté par l’idée d’avoir engendré un artiste, le rappelle à une certaine matérialité (autrement dit : “Tu vas te sortir les doigts et faire des études”).
Il le pousse vers l’architecture et le dessin industriel, persuadé qu’une discipline aussi rigoureuse pourra border l’univers dérangeant de ce fils retors. Cela n’aura pour effet bien sûr que de rendre cet univers plus graphique, ajoutant de la rigidité au malaise.
Parallèlement, Hans publie discrètement dans des fanzines locaux mais beaucoup boudent cet artiste, le trouvant bien trop torturé..
C’est lors de sa première expo en 1966, qu’il rencontre Li Tobler qui sera sa première épouse et son plus fidèle soutien jusqu’en 1975, année durant laquelle elle met fin à ses jours avec… une arme à feu.
Giger, restera profondément ébranlé par cette perte qui le plongera dans une profonde dépression mais surtout posera la dernière pierre du maelstrom de sa patte, à savoir, la mécanique, l’organique et l’érotisme. La figure de la femme vient se greffer à un univers déjà bien chargé.
Vous en conviendrez mes petites sucettes au kiwi !
Il consacre d’ailleurs à sa défunte épouse une série de deux tableaux aux contours circonstanciés, ce qui est exceptionnel dans l’œuvre de Giger.

ROUTE BARREE
Giger interroge et dérange, il…interrange.
Le monde de l’art, loin de lui dérouler le tapis rouge, le décrie ouvertement.
Son univers est dégénéré tout comme sa technique.
Il faut savoir que Giger est un précurseur de l’aérographe. Ça vous étonne ?
Après tout, cela reste un pistolet…à peinture, une arme pour coucher ses cauchemars.
[Petite apparté (de tennis) : cette technique donne d’ailleurs un rendu assez curieux. Tout le long de l’expo, je me suis demandé s’ il ne s’agissait pas de reproductions imprimées.]
Rajoutant de l’onirique à ces visions cauchemardesques, il deviendra un réel maître et une référence de cette technique, à l’époque avant-gardiste.
Giger est fasciné par l’esprit humain et ses mécaniques et c’est donc naturellement qu’il se passionne pour les théories de Freud, en particulier la mécanique des rêves.
Une série appelée : “Festin pour le psychiatre” verra le jour et Giger pourra continuer à dormir.

Anecdote amusante, il restera bloqué plusieurs heures à la douane néerlandaise qui était persuadée qu’une de ses oeuvres, représentant je ne sais quelle torture, était une photo !
Il aura fallu qu’un expert soit dépêché sur place pour attester qu’il s’agissait bien d’une œuvre fictive !
Giger ironisera d’ailleurs avec les douaniers :
“Il aurait vraiment fallu que je revienne de l’enfer pour prendre une telle photo !”
Il est aussi fasciné par les univers dantesques aux détails saisissants.
Fan de Tolkien (oui l’auteur qui décrit une branche sur 150 pages), il illustre ainsi le Mordor dans quelques tableaux, et rend également hommage à Lovecraft dont il admire l’univers et l’écho avec sa propre histoire dans une série de tableaux appelée “Necronomicon”.
DEVIATION
Si le monde de l’art ne veut pas de lui, qu’à cela ne tienne.
D’autres disciplines sont plus ouvertes et il compte bien s’y imposer.
Et là, contrairement à Jospin avec les élections de 95, vous me voyez venir avec mes grosses Doc Martens taille 39.
Je vais bien sûr vous parler de sa période de fricotage avec le cinéma.
Début 1970, Giger est contacté par le grand Alejandro Jodorowsky, pour un projet colossal d’adaptation du roman de science-fiction Dune.
Le réalisateur lui demande de concevoir le design de la famille Harkonnen.
Ce projet très ambitieux annonce une collaboration incroyable avec notamment Jean Giraud, alias Moebius. Un casting de folie, des décors incroyables et la patte de Jodorowsky, ce film s’annonce comme un chef-d’oeuvre mais malheureusement, il ne verra jamais le jour.
Et c’est le truc le plus triste que j’ai entendu avec la petite fille aux allumettes.
Sachez néanmoins mes petites gaufrettes à la papaye, qu’un documentaire sur le projet est sorti en 2016 et que c’est un régal.
Allez, en guise de mignardise, je vous met la bande annonce dans les liens.
Première déconvenue, mais ce revers ne sera pas inutile puisque notre petit suisse va ainsi faire la connaissance de Ridley Scott qui va lui proposer de travailler sur son prochain film alias « Alien, le huitième passager« .
Responsable de la conception du Xénomorphe, directement tiré des créatures bio-mécaniques qui constellent ses œuvres, mais aussi de certains décors auxquels il donne une curieuse impression de vie, entre organique et mécanique.
Mais ce n’est pas chose aisée. Les majors sont réfractaires à son univers trop érotisé, mais Ridley Scott insiste.
Ce sera Giger ou rien. Et remercions-le.
On aurait pu se retrouver avec ça :
Mais si le cinéma l’a fait passer à la postérité en lui décernant un oscar pour les meilleurs effets spéciaux en 1979, il lui aura également fait vivre beaucoup de désillusions.
Productions réticentes, projets avortés comme le design de la « Batmobile » dans le film de Joel Schumacher “Batman Forever” et souvent travestis comme ce fut le cas pour le film “La Mutante” sorti en 1995 (et dont l’existence, avec le fenouil, reste un des grands mystères de l’humanité).
Même s’ il ne quitte pas définitivement le cinéma, il s’en éloigne pour revenir aux fondamentaux : la peinture, le dessin et la sculpture.
Car il commence à avoir du succès notre petit Giger, l’évolution des mœurs et la vision moins académique de l’art des années 90 poussent professionnels et public à s’interroger sur son œuvre et sa signification.
Parce que bon, Giger c’est pas Joe le Rigolo.
Et c’est donc tout naturellement qu’il est contacté par de nombreux groupes musicaux pour illustrer des pochettes d’albums.
Giger s’épanouit enfin, les musiciens ne cherchent pas à changer ou adoucir son univers et cette liberté le ravit. Parmi ces groupes on trouve Blondie, Korn ou encore Magma…
Il passera aussi par la case jeux-vidéos en participant à la création de Dark Seed et Dark Seed II considérés comme le 7ème jeu le plus effrayant de tous les temps.
Il rempilera avec Ridley Scott pour le prequel de la saga Alien, à savoir « Prometheus« .
Il signe là ses derniers projets.
Le 12 mai 2014, le monde entier apprend la mort de Giger, décédé à 74 ans des suites d’une chute accidentelle.
UN GIGER PEUT EN CACHER UN AUTRE
Loin de la polémique “faut-il différencier l’homme de l’artiste ?”, on peut dire pour notre homme qu’il faut différencier l’artiste de son œuvre.
Car voyez-vous mes petits éclairs au St Félicien, malgré l’aspect cauchemardesque et sombre de son travail, ceux qui ont eu la chance de rencontrer Giger le décrivent comme un homme très doux et hypersensible.
Lorsque l’on regarde une de ses rares interviews, on est frappé par sa timidité, très loin de ses visuels remplis de braquemards et de violence froide.
Giger était un enfant, qui a dormi toute sa vie avec la lumière allumée, fasciné par les paradoxes et obnubilé par ses visions.
Il me rappelle un artiste qui disait que le seul moyen qu’il avait trouvé pour apprivoiser les monstres dont il rêvait, c’était d’en devenir le créateur et de les faire entrer dans le réel d’une feuille de papier.
Hans a créé bien plus que des peintures, sculptures et créatures de cinéma.
Il a poussé le concept de biomécanique jusqu’au bout, le rendant visible aux yeux de tous, prouvant ainsi que même l’univers le plus sombre peut trouver un écrin sans avoir à se travestir.
Giger est allé loin, jusque dans l’espace d’où… on l’a enfin entendu crier.
Ce pitch est à présent terminé, nous devrions nous poser sur le sol de la planète Terre où vous pourrez retrouvez couleurs et guimauves.
Mama Pitch vous remercie de votre confiance et vous invite vous aussi à coucher vos monstres du placard sur papier et à nous l’envoyer.
Le gagnant sera tiré au sort par un huissier de justice et se verra offrir 4 séances chez le psychanalyste de son choix.
Voici les liens de la semaine, malgré leur aspect effrayant, ils vous apporteront sagesse et sérénité.
Car c’est en se cultivant qu’on devient grand, beau et fort comme un gnome.
Jasmine.B (Capitaine de chalutier à Brive-la-Gaillarde)
LIENS
Lecture :
- La page HR GIGER sur le site WikiArt : « Hans Ruedi Giger : 13 œuvres d’art«
- Un article du Webzine « La Horde Noire » : « H.R Giger-Arts Noirs«
- Un article d’Alex Lecoq du site SyFantasy : « H.R. Giger : l’artiste extra-terrestre de la saga Alien«
- Un article de Strafeur du site SyFantasy : « H.R. Giger : Limbes et grosses guitares«
Audio
- Un numéro de l’émission « La grande Table d’été » de France Culture (durée : 1h05) : « H.R. Giger, dans les entrailles d’Alien«
- Un numéro de l’émission « La méthode scientifique » de France Culture (durée : 59 minutes) : « Biomécanique : des boyaux sous le capot«
Video
- Un documentaire de Gilbert Bovay sur RTS (durée : 27 minutes) : « H.R Giger, l’aventure sur-réelle«
- Une vidéo de la chaîne « Archive de la RTS » (durée : 8 minutes) : « Alien, le 8e passager de Ridley Scott est Suisse ! (1979)«
- Un extrait de l’émission « TRACKS » sur la chaîne YT ARTE TV (durée : 7 minutes) : « HR Giger »
- Une vidéo format documentaire de la chaîne YouTube « Alt 236 » (durée : 37 minutes) : STENDHAL SYNDROME # 9 : HR GIGER
Merci bien pour ce pitch ma petite biscotte à l’eucalyptus du Laos ! J’ai moi aussi eu la chance ( le privilège même ! ) de savourer une méga expo de mister Giger à Nantes. Fascinant de beauté ! On pourrait se noyer dans les détails, chaque oeuvre donne le vertige et doit s’observer tant de près que de loin.
Au plaisir de te relire Mama Pitch !!
J’aimeJ’aime
Tu as dû autant te régaler que moi j’imagine 😊.
Merci pour tes commentaires toujours si agréable à lire et qui encourage Mama à raconter ses histoires !
🥰
J’aimeJ’aime