CINÉMA : L’APOCALYPSE, MON PÈRE ET MOI.

Considéré comme un monument cinématographique, le film “Apocalypse Now” est aussi un vrai miracle. Pareil à Eve, Coppola enfantera de cette œuvre dans la douleur. Suivez Mama Pitch sur le plateau,  et assistez aux 4 ans de tournage apocalyptique qui signeront une des plus folles aventure du cinéma américain. Prêts ? Moteur… ACTION !

Je vous avais déjà parlé de souvenirs d’enfance dans l’article “Van Gogh, ma mère et moi.” (Si tu ne l’as pas lu, cliques donc, tu auras du jambon).
Je vais récidiver en vous parlant de mon couloir.
Non, ne partez pas ! Je vous jure qu’il y a un rapport.
Lorsque j’avais 14 ans, mon père, séduit par l’idée de devenir propriétaire, passe le cap en épousant sa banque pour le meilleur et pour le pire.
Nous déménageons donc dans une maison fort sympathique, mais aux travaux colossaux que mon père se met en tête de faire lui-même.
En toute logique, la déco n’est pas une priorité.
Mais…
Un seul élément a toujours eu sa place dans cette bicoque et ce, dès notre arrivée !
Une affiche 4X3 du film “Apocalypse Now” (mon père tient d’ailleurs à ce que je vous en signale la valeur).
Voilà Papa, c’est fait !
Ce film a donc toujours été sous le gros tarin de votre Mama Pitch ! Mais j’étais loin de soupçonner son histoire, au-delà de sa narration.
Le calvaire de centaines de personnes, pour en ravir des millions d’autres.

IGNORER LES ALERTES

Commençons par nous rafraîchir la mémoire. “Apocalypse Now” est un film de 1979, adapté du roman “ Au coeur des ténèbres ” de Joseph Conrad, dont le réalisateur F.F Coppola transpose le récit à la Guerre du Vietnam.
Il faut savoir mes petites câpres au vin blanc, que dès le départ, ça sentait le sapin cette histoire.
Notre petit Francis Ford désormais millionnaire, grisé par sa palme d’or pour “Conversation secrète” et l’immense succès des 2 premiers volets de sa trilogie “ Le Parrain”, va commencer à prendre la confiance.
Considéré comme le chef de file du Nouveau Hollywood, il rêve de projets ambitieux. C’est ainsi qu’il ressort des cartons, un vieux projet de Georges Lucas et John Milius basé sur un roman. Georges Lucas ayant signé son propre cauchemar à base de stormtroopers aveugles, il reprend le bébé et en retravaille le scénario avec John.
Au bout de 10 versions, ils sont prêts et le présentent à la Warner Bros, qui, sentant venir les emmerdes (oh que oui!), refuse catégoriquement de produire le film.
Tout d’abord pour les dépassements de budget et les retards de livraison qu’un tournage aussi complexe risque d’engendrer, mais également par frilosité sur le sujet. Le script ne cache pas sa critique et son positionnement anti-Vietnâm.
Francis se tourne alors vers le studio “United Artists”, enfant de Chaplin voué à délier les créateurs des injonctions capitalistes des grands studios.
Réticent mais lié par ses aspirations, le studio accepte de financer le projet à hauteur de 16 millions de dollars, mais à une seule condition, tous les dépassements incomberont à Coppola.
C’est aussi casse-gueule qu’une peau de banane sur une plaque de verglas un jour de brume…mais bon.
Du pognon, Coppola en a tout le tour du ventre, et puis bon…tout marchera comme sur des roulettes.
Qu’il pense…
Il ne sait pas encore, mais il vient de mettre ses couilles dans un étau rouillé trempé dans du citron.

DANS LA JUNGLE, TERRIBLE JUNGLE…

D’abord tourné vers l’Australie, Francis doit se rabattre sur les Philippines pour le tournage. Lesquelles sont aux mains du dictateur Ferdinand Marcos… 
Les backchiches vont devoir s’aligner bien sagement et aussi régulièrement qu’une manif des gilets jaunes.
Ça fait monter le budget, mais les problèmes ne font que commencer.
Trois semaines après le début du tournage, Coppola se rend compte en visionnant les premiers rushs, que Harvey Keitel, initialement prévu pour jouer le rôle du Capitaine Willard, ne convient pas du tout.
Bim ! Trois semaines et des kilomètres de pellicule à jeter. Martin Sheen rejoint le casting et on peut reprendre.
Arrive alors cette scène emblématique de l’attaque des hélicos sur “La Chevauchée des Walkyries” de Wagner. Voilà la scène si vous voulez vous la remémorer :


À tourner ? Un calvaire.
Une coordination dantesque et un minutage suisse sont nécessaires.
Mais voilà, légèrement excédée par ce script de hippies qui ne comprennent rien à la bonne odeur du napalm le matin, l’armée américaine refuse de prêter le moindre bout d’hélicoptère.
Il faut donc demander à l’armée philippine si elle n’a pas quelques hélicos à dépanner.
Effectivement elle en a, mais…occupés à mater une rébellion communiste.
Et, à cet instant précis, on bascule dans la 4eme dimension.
Régulièrement réquisitionnés, les hélicos doivent être peints aux couleurs américaines pour les prises, puis repeints aux couleurs philippines pour les rendre en fin de journée.
Si vous n’avez ne serait-ce qu’une fois repeint un mur pour un état des lieux, vous comprenez le temps perdu et la patience nécessaire.
Le retard est colossal, les dépassements conséquents et le comptable de Coppola perd tous ses cheveux pensant à tout quitter pour devenir zadiste.
Bon, vous vous dites que c’est l’anarchie et que Francis prend plus de retard que le lapin blanc de Lewis Carroll.

Mes petits naïfs au munster…ce n’est que le début.

UN TYPHON, PHON, PHON

L’équipe est à bout : les moustiques, les gastros, les emmerdes, la fatigue…
Les journées de Francis se transforment en cauchemar.
Il passe plus de temps à désamorcer les conflits qu’à tourner, la drogue fait son apparition et se banalise sur le plateau.
Certains quittent le tournage sans prévenir, d’autres ne viennent pas tourner leurs scènes.
Et sur ces joyeusetés arrive OLGA, un typhon dévastateur qui en plus de détruire le décor le plus cher, détrempe les lieux de tournages les rendant absolument inutilisables et emporte 4 caméramans dont les familles réclament des sommes colossales.
La mort de membres de son équipe finit de plonger Coppola dans la folie.


Il faut se résoudre à suspendre les prises.
Sa femme et ses enfants sont à bout, de même que ses équipes.
Quant à lui, il a déjà perdu plus d’une quinzaine de kilos, sombré dans la toxicomanie et perdu le sommeil.
En juin 76, Francis décide de mettre en pause le tournage et de rentrer chez l’oncle Sam.

Le retard avoisine les 3 semaines et le dépassement de budget s’élève déjà à 2 millions de dollars.

LA TÊTE DANS LA BOUE

Mais de retour au pays, Coppola déchante vite.
Il est devenu la risée de la presse qui lui reproche sa mégalomanie et son obstination.
Feuilleton juteux, il n’est pas un journal qui ne la lui joue pas “à la flamme bien moyenâgeuse ».
Le studio United Artists, inquiet pour son investissement au vu de l’état mental et physique de Francis, prend pour lui une assurance vie à hauteur d’environ 20 millions de dollars, croisant les doigts pour qu’il ne mette pas fin à ses jours. Le suicide n’étant pas couvert par la dite assurance.
Son moral est au plus bas, il commence à douter de son projet mais aussi de lui-même.
Ses interventions deviennent surréalistes :

 “Mon film n’est pas un film”

“Ce n’est pas au sujet du Vietnam, c’est le Vietnam !”

Francis Ford Coppola

Financièrement ? Francis est à deux (petits) doigts de la faillite personnelle.
Absolument tous ses biens sont hypothéqués.
Il en a conscience, s’il échoue, il entraîne tout le monde avec lui.

QUAND FAUT Y ALLER…

Le tournage reprend en juillet 76, sous une chaleur humide digne de ma salle de bain certains soirs de décembre.
On compte déjà plus de trois mois de retard.
Les décors ont été reconstruits et l’on attend l’arrivée providentielle mais rigoureusement minutée de Marlon Brando qui dispose de 3 semaines. Pas un jour de plus.
Brando qui d’ailleurs, touche un cachet 3 fois supérieur à toute la distribution. Ce qui crée évidemment des animosités.

[Ext. Jour. Aéroport Philippin]
L’ avion se pose en douceur sur le tarmac, travelling avant sur la porte qui s’ouvre, Brando apparaît.
[Contrechamp] Coppola :


Brando a pris 30 kilos, il n’incarne plus du tout un combattant mais plutôt un redneck option « Bud à volonté« .
Le soir même, absolument dévasté, Francis fait une crise d’épilepsie.
Dès lors, l’ambiance sur le plateau chute encore d’un cran. Dennis Hopper, envahi par son rôle ne se lave plus, Brando a des exigences de Diva, Robert Duvall menace de quitter ce projet qui s’éternise.
On s’attaque donc aux prises de Marlon. Enfin…Non.
Francis s’aperçoit qu’il ne connaît absolument pas son texte, il n’a même pas lu le roman. 
Persuadé d’avoir croisé un chat noir sous une échelle après avoir cassé un mirroir en ouvrant un parapluie à l’intérieur, Coppola retrousse ses manches malgré tout et s’enferme près de 5 jours avec Brando pour le faire travailler.

Peut-être va-t-il enfin en voir le bout…

VOUS EN REPRENDREZ BIEN UN PEU !

Mais c’est pas encore fini, c’est encore trop facile.
Huuum… qu’est ce qu’on pourrait bien rajouter ? Je sais !
Une petite crise cardiaque de Martin Sheen !
Héros du film déjà tourné à 80%, s’il venait à y rester, ce serait la mort totale et définitive du projet, la ruine de Coppola, du studio mais surtout une circonstance atténuante de plus pour le comportement de Charlie Sheen qui, devenu orphelin aurait pu être pire qu’il ne l’est.
Malgré une difficile évacuation vers l’hôpital le plus proche, Martin reprend conscience, ouvre les yeux. Coppola est penché au dessus de lui :


Par chance (elle est revenue de vacances), Martin pourra poursuivre son rôle et l’on pourra limiter le retard en tournant certaines prises avec son frère Joseph Estevez avant qu’il puisse reprendre le tournage.
Péripétie de dernière minute :
Plutôt que de ramener des accessoires des Etats-Unis, l’équipe a choisi de faire affaire sur place avec des accessoiristes locaux se révélants être en fait… de vrais pilleurs de tombes !
Les corps sont aussi factices que moi agrégée de mathématiques.
Heureusement les autorités philippines interviennent, les corps sont restitués, la scène remontée par souci de décence et d’éthique.

EN AVRIL, TERMINE TOUT ET FILE !
EN MAI, RENDS LEUR LA LIBERTE.

21 Mai 77 : clap de fin !
L’équipe fait la bamboche, le calvaire est terminé. Tout le monde plie bagage et rentre découvrir la farce “Jimmy Carter”, bien décidés à oublier tout ça.
Tous ? Non.  
L’irréductible Francis se retrouve avec 300 km de pellicule, 250h de projection, une demi douzaine d’huissiers et un profond sentiment d’inachevé.
Il a beau monter et démonter son film, il lui manque son fil rouge. Il n’en dort plus la nuit, frôle la folie et le découragement jusqu’à… l’épiphanie !
Visionnant à la télévision une interview du grand reporter Michael Herr (ayant couvert la guerre du Vietnam) à l’occasion de la sortie de son livre “Dispatches”, il a soudain une idée !
Et si il demandait à ce témoin d’écrire les dialogues en voix off de Martin Sheen ?
Celui-ci accepte et ENFIN ! Il a son film, sa vision.

La première version d’”Apocalypse Now” (qui en livrera 3 en tout) est montée mais…pas totalement aboutie.

J’AIME L’ODEUR DE LA PALME LE MATIN

En 1979, on demande à Francis de présenter “Apocalypse Now” à Cannes. Coppola est réticent mais accepte en prévenant que la version présentée est un WIP (Work in Progress).
L’aventure “Apocalypse Now” paye enfin. Cette édition de Cannes sera exceptionnelle à plus d’un titre.
Tout d’abord, “Apocalypse Now” arrive ex-aequo avec le film “Le Tambour”, entraînant donc la remise de 2 palmes d’Or, mais c’est aussi la première fois que l’on décerne la palme à un réalisateur déjà primé !
C’est dire si le film fait forte impression !
Les journaux retournent alors leur veste et encensent le réalisateur dans les grandes largeurs, sauvant ainsi Coppola de la faillite.
Les dépassements sont amortis par les recettes de sorties colossales.
Apocalypse Now” et son tournage maudit entrent dans la légende du cinéma, enrichissant du même coup le répertoire des œuvres critiques sur la guerre du Vietnam, pourvoyeuse de napalm devant l’éternel.

CONCLUSION

De tous les films au tournage chaotique, « Apocalypse Now » fait figure d’enfant star, à tel point que de nombreux documentaires y sont consacrés.
Parmi eux, « Aux cœurs des ténèbres : L’Apocalypse d’un metteur en scène » réalisé par Fax Bahr et George Hickenlooper, que je vous conseille vivement si le sujet vous interesse.
Pour conclure, s’il est évident que ce film et son tournage se sont drapés d’une aura de malchance rarement égalée, ce sont aussi ces contraintes qui en ont fait ce film extraordinaire, allégorie d’une descente aux enfers à l’écran comme à la vie.
La non-connaissance du texte inspira à Marlon Brando des improvisations incroyables, le lynchage médiatique a poussé le public vers les salles, ses nombreuses versions ont pérennisé sa notoriété et son statut de monument de la contre-culture à travers les générations.
Finalement, n’est-ce pas l’obstination et la ténacité de Coppola qui ont permis un rendu final d’une qualité reconnue et indéniable ?
Je crois que la question, elle est vite répondue…
La péloche d' »Apocalypse Now » sent encore le sang, la sueur et les larmes et…on aime ça.


Mama Pitch est heureuse de vous avoir guidé au coeur des ténèbres, et vous remercie d’avoir lu cet article décidément très long.
Les nominés pour les liens de la semaine se trouvent ci-dessous, le jury de Pitchbull a eu beaucoup de mal à trancher et s’est donc focalisé sur leur narration, l’audace de leur mise en page et leur point de vue novateur.
Allez, je file au festival de Gerardmer parce que quand j’entends du Wagner, j’ai envie d’envahir la Vologne.

Jasmine.B (Agent d’entretien au Kremlin)

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